Vaincre ses peurs par une action
juillet 2, 2019Comment vivre une vie positive et heureuse
juillet 2, 2019Alzheimer
Sommes-nous préparés à ça? Le serons-nous un jour?
« Nous ne sommes pas préparés à ça. »
« Personne n’est prêt pour ce genre de maladie. »
« On pense que ça n’arrive qu’aux autres, jamais à nous. »
« Ça s’est fait trop vite, je ne comprends pas. »
« Elle était active, faisait du sport, lisait, entraînait sa mémoire… »
Ce sont des phrases qu’on entend souvent quand la maladie d’Alzheimer frappe un de nos parents.
Quand nous avons vécu pendant des années avec notre mère ou notre père, la transformation soudaine est extrêmement difficile — voire impossible — à accepter.
La première chose que les gens trouvent triste, c’est que la personne atteinte de cette maladie ne les reconnaît plus. Mais ce qui est plus traumatisant, à mon avis, c’est le fait de réaliser que finalement, c’est nous qui ne reconnaissons plus cet être cher que nous avons côtoyé durant des décennies.
Souvent, les gens essaient de trouver les raisons et la logique derrière ce genre de comportement. Mais dans les faits, il n’y a pas de logique; la personne atteinte est entrée dans un autre monde — point final.
Des fois, on pense qu’en répétant les mots ou en essayant d’aller moins vite ou d’être plus patient, le problème sera résolu. Malheureusement, malgré toutes les bonnes intentions du monde, ce n’est pas comme ça qu’on peut réussir à aider la personne atteinte.
Le choc est immense, oui. Tu te retrouves tout à coup sous le même toit que cette personne qui est devenue une inconnue à tes yeux. Et quand cette inconnue est ta mère, le choc est encore plus intense; tout devient soudainement incontournable.
Heureusement, ma mère est encore en partie présente avec nous, mais selon son médecin, on peut s’attendre au pire. Je commence déjà à perdre les conversations que nous avions ensemble via Face Time, et ça me manque beaucoup. C’est aussi très difficile de savoir que je suis maintenant devant une personne que je reconnais plus ou moins à l’heure actuelle et que je ne reconnaîtrai probablement plus éventuellement.
Je pense que c’est une situation particulièrement pénible pour les gens qui vivent à l’étranger, ce qui est mon cas. Tu es loin et tu ne peux pas être présent, même si tu le veux, car la vie t’empêche de partir, que ce soit à cause de tes obligations familiales ou tes responsabilités financières. Même si je ne peux pas faire grand-chose pour ma mère, j’aimerais être présente à ses côtés pour au moins vivre cette étape avec la personne qui m’a mise au monde.
Au fond, il me semble que je n’ai pas bien connu ma mère. Ça fait maintenant 30 ans que je l’ai quittée en quittant mon pays, et avant, nous vivions en pleine guerre et n’avions pas le temps de nous aimer ou de nous côtoyer. Notre seule préoccupation était de nous sauver des bombardements et de nous battre pour rester en vie. J’aurais aimé connaître ma mère davantage, vivre plus longtemps à ses côtés, savoir ce qu’elle aime, ce qu’elle déteste, ce qui la rend heureuse, ce qui la rend triste, comment elle a vécu sa vie de femme mariée… A-t-elle été réellement heureuse avec mon père? Est-ce qu’elle a connu l’amour avec lui? Qu’est-ce qu’elle aurait aimé faire de sa vie? Quelles sont ses ambitions? Comment nous voyait-elle quand nous étions enfants? Etc.
Il y a tant de questions que j’aurais aimé poser à ma mère pour la connaître davantage en tant que personne. Il me semble que l’odeur de sa peau me manque. Je m’ennuie de l’odeur de son parfum et des produits qu’elle mettait dans ses cheveux, de l’odeur de son linge dans le tiroir, de ses tubes de rouge à lèvres, de ses souliers que je mettais souvent pour jouer à la grande fille, de ses sacs à main avec lesquels je m’amusais, de ses bijoux que je portais en cachette… Je me rappelle son collier en véritables perles que j’ai volé un jour et donné en cadeau à mon amie sans savoir que c’étaient de vraies perles. Aujourd’hui ma mère est dans un autre monde, son propre monde : elle n’a aucun souci, aucune notion du temps, aucune inquiétude, aucun souvenir de nos dates de naissance… Elle oublie nos conversations antérieures, les gens qui nous ont visités, son frère qui lui téléphone souvent, ce qu’elle a mangé, l’endroit où elle est tombée, le moment où elle a pris sa douche, ses médicaments… Avec tout ça, tu vis avec une inquiétude constante, et tu ne sais pas si c’est ta mère qui a un problème ou si c’est toi, car ta mère n’est plus là.
À ma sœur, qui pleurait lors de chaque fête en pensant que c’était peut-être la dernière fête avec ma mère, j’ai souvent dit qu’au lieu de pleurer, elle devrait être contente, car nous avions une autre fête à célébrer avec notre mère à nos côtés. Il nous fallait donc être heureux et remercier la vie de nous permettre de l’avoir avec nous cette année-là encore. Bref j’essayais d’être positif en pensant au pire.
Vu l’état actuel de ma mère, on peut s’attendre à tout. Elle peut très bien se lever à minuit pour manger tout ce qui se trouve dans le réfrigérateur ou alors y placer des déchets. Elle peut décider de sortir de la maison sans avertissement ou alors rester couchée toute la journée. Elle peut déchirer ses rapports médicaux, cacher des choses, décider d’aller à la banque en pleine nuit… Elle a déjà fait quelques-unes de ces choses, d’ailleurs. On a tendance à lui répéter les consignes, mais je me suis vite rendu compte que peu importe ce que nous disons, pensons ou faisons, ce n’est plus en fonction de tout ça que ma mère va réagir.
Je n’ai pas hâte au jour où ma mère va prendre mon frère pour son mari ou son mari pour son frère. Je n’ai pas hâte de voir ma mère m’insulter parce que je veux lui donner son bain. Je n’ai pas hâte de voir ma mère frapper ma sœur ou lui jouer des tours. Je n’ai pas hâte de voir ma mère cracher ou faire des gestes irrespectueux. Vous allez me dire que ça n’arrivera pas, mais malheureusement, tout ça peut très bien se produire.
Je pense que la seule solution pour l’instant — en attendant la découverte d’un remède miracle —, c’est de traiter la personne atteinte comme un bébé. C’est ma sœur qui a eu cette idée; elle n’arrêtait pas de me dire : « Notre mère nous a élevés et a pris soin de nous quand nous étions bébés, alors c’est à notre tour de la traiter comme notre bébé, maintenant. »
Au tout début, j’ai eu de la difficulté à l’accepter, mais j’ai fini par comprendre que c’est la vérité et que ma sœur a raison. Nous n’avons pas d’autres choix. Pour l’instant, c’est la seule façon d’affronter ce drame avec sagesse et compréhension, même si on veut que notre mère soit plus forte, plus vaillante, plus débrouillarde. Elle n’y peut rien; c’est plus fort qu’elle. Elle n’est plus là! Et bien sûr, c’est un « bébé » qu’on a à la maison, maintenant. La différence, c’est qu’un vrai bébé, on le voit évoluer avec le temps, faire des progrès. Et malheureusement, avec ma mère, ce n’est pas le cas.
Je partage avec vous ce que son médecin nous a conseillé de faire. Si vous avez un parent qui est atteint de la maladie d’Alzheimer, sachez que pour l’instant, il n’y a pas de solution miracle. Cependant, nous avons reçu quelques conseils qui pourraient vous être bien utiles.
1— Afin d’éviter de tomber dans la dépression, il est préférable de partir en vacances de temps en temps et de confier ma mère à quelqu’un.
2— Demander l’aide de personnel de soutien est une bonne idée.
3— Il ne faut rien prendre de façon personnelle. Ma mère ne veut pas nécessairement être méchante avec nous. Ça fait simplement partie de la progression de sa maladie et du changement de son caractère.
4— Il vaut mieux ne pas lui donner de mauvaises nouvelles; elle sera triste pour rien et aura de la peine. De toute façon, elle va oublier ces mauvaises nouvelles, donc il est préférable d’éviter de la faire souffrir.
5— Il faut commencer à envisager le placement en institution.
La dernière suggestion a été particulièrement difficile à accepter pour nous. Ce n’est pas encore quelque chose de présent dans notre culture, et je ne crois pas que nous sommes prêts pour ça, même si nous savons que ce peut être pour son bien et plus sécuritaire pour elle. Disons que pour l’instant, nous gardons cette idée à distance.
Est-ce que toutes ces informations ou toutes ces suggestions ont répondu à nos craintes, nos angoisses? Je ne sais pas. Mais chose certaine, cette maladie remet en question la précieuse relation que nous avions avec nos parents. Et c’est très triste de voir cette relation s’effondrer devant nos yeux.
En attendant la découverte d’un remède, traitons nos proches avec respect et compréhension. Soyons patients, et surtout, prenons tout d’abord soin de nous-mêmes afin de pouvoir prendre soin d’eux par la suite.